Le citoyen-soldat, un risque pour la sécurité domestique ?
C’est ce qu’une majorité du Conseil national (135 contre 49 et 5 abstentions) semble avoir pensé en rejetant une motion de notre Conseiller national Jean-Luc Addor demandant de réintroduire la munition de poche https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223855. Et pourtant, nos militaires sont autorisés à conserver leur arme d’ordonnance à la maison et la guerre en Ukraine n’est pas si loin…
Voici en quels termes Jean-Luc Addor a présenté son intervention devant le plénum :
« En Suisse, le soldat n’est pas un simple conscrit. C’est un citoyen qui fait usage de son droit souverain de porter une arme et de son obligation envers le pays de le défendre en cas de besoin. L’origine du concept de citoyen-soldat remonte à la démocratie athénienne de l’Antiquité : chaque citoyen ayant le droit de participer à l’assemblée gouvernant la cité avait l’obligation de s’équiper, à ses frais, d’une arme et d’un bouclier et de combattre avec les autres au sein de la phalange. Cela explique qu’à l’origine du concept de citoyen-soldat, l’obligation de défendre les siens est le pendant du droit politique de gérer les affaires communes.
Aujourd’hui en Europe, la Suisse est le seul pays où ce concept est encore en vigueur. On peut y voir le corollaire de la démocratie directe que notre pays est également seul à pratiquer. Ainsi, chez nous, le jeune homme, la jeune fille effectuant ses obligations militaires se voit remettre une arme personnelle en prêt et la rapporte à la maison après chaque service.
Les militaires recevaient également ce que l’on appelle la « munition de poche » afin de pouvoir entrer en service complètement équipés en cas de mobilisation. Considérant qu’arme et munition ne font qu’un et qu’un soldat en uniforme équipé d’une arme est une cible potentielle, on pensait alors à la nécessité, même en dehors de scénarios d’invasion, de garantir leur sécurité personnelle des soldats.
En 2006, en réponse à une motion Fetz 06.3351, le Conseil fédéral de l’époque y voyait aussi « une démonstration de la volonté de défense des citoyennes et citoyens suisses ».
Il y a une quinzaine d’années, estimant que régnait en Europe une paix que d’aucuns imaginaient éternelle, on a cessé de remettre à nos militaires cette munition de poche. Avec la majorité de la classe politique, le Conseil fédéral a alors cessé de voir le soldat comme un citoyen faisant son devoir pour le considérer plutôt comme une forme de menace pour la sécurité domestique.
La guerre en Ukraine vient pourtant de nous rappeler tragiquement combien la paix peut être fragile et combien, même au 21ème siècle, un conflit peut éclater subitement sur notre continent. L’armée suisse l’avait déjà compris en réintroduisant et en recommençant à entraîner, après l’avoir imprudemment abandonnée, la mobilisation comme moyen de répondre à une menace inopinée.
En réponse à la motion 07.3277 de la Commission de la politique de sécurité du Conseil des Etats, le Conseil fédéral s’était explicitement déclaré « prêt à lier, à l’avenir, la détention par les militaires actifs des munitions de poche dans leurs foyers à la situation qui domine la politique de sécurité ».
Eh bien, avec la guerre en Ukraine, nous y sommes !
Contrairement à ce que soutient le Conseil fédéral, qui croit devoir attendre que le canon tonne véritablement à nos frontières, l’évolution de la situation en Europe justifie aujourd’hui d’aller jusqu’au bout : il est temps, dans ce sens, de redonner aux soldats qui conservent déjà leur arme d’ordonnance la munition de poche qui va avec. Ce serait aussi un acte de confiance envers celles et ceux qui font service, un contrat moral que l’Etat se doit de réactiver. »L’intégralité du débat du 16 mars 2023 et le détail nominatif du vote peuvent être consultés en suivant le lien https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/amtliches-bulletin/amtliches-bulletin-die-verhandlungen?SubjectId=60177