Pour notre sécurité, reconstituer une industrie de la défense
Nous devons avoir le courage de le dire : notre armée n’est plus en mesure de remplir son mandat constitutionnel de défense au pays. Pourquoi ? Parce que depuis trop longtemps, en dépit des interventions de l’UDC, le Conseil fédéral et le Parlement ont cessé de considérer notre sécurité comme une priorité. En raison d’une vision irréaliste du monde, les budgets de défense, depuis des années, sont insuffisants, tout comme les effectifs de notre Armée et l’équipement de celle-ci, dramatiquement obsolète au point que certains corps de troupe n’existent que sur le papier malgré les promesses non tenues du projet DEVA.
Et tout d’un coup, la crise tant de fois qualifiée d’extrêmement improbable, arriva. Voilà que, du centre de l’échiquier politique jusqu’au PLR, on commence à se soucier de ce qui est indispensable à la défense du pays, et non aux apparences de celle-ci. La guerre en Europe n’est pas une chimère.
Qu’il me soit permis, dans ce contexte, d’évoquer deux autres maillons négligés de la chaîne de défense qui, brisés ou trop faibles, rendent cette dernière inopérante :
- la capacité de notre industrie nationale à livrer à l’armée les biens, composants et pièces de rechange critiques en cas de montée en puissance ou d’engagement massif ;
- la maîtrise sur le sol national des technologies les plus avancées qui, livrées à des alliés dans la crise, forcent leur respect et la réciprocité, et qui, développées pour la Suisse, renforcent la crédibilité de notre outil de défense.
Pour ce qui est du premier maillon, les commandes de l’armée auprès de l’industrie suisse sont insuffisantes pour que cette dernière puisse subsister grâce à elles. Subsister est pourtant la condition essentielle pour monter en puissance au profit de notre armée si le besoin s’en fait sentir. Il n’y a, pour subsister, pas d’autre issue pour nos industries que d’exporter, ce que, de l’extrême gauche jusqu’au PLR, on a récemment rendu presque impossible, au point que des sites de production d’entreprises helvétiques ont été délocalisés à l’étranger et le seront encore. Adieu les composants requis en cas de crise… Que dire de la vente de RUAG Ammotec à Beretta, effectuée pour le seul motif que le Conseil fédéral n’a pas voulu supporter le risque de réputation lié à la fabrication de munitions livrables et livrées auprès d’Etats à travers la planète ?
Le second maillon requiert une politique industrielle spécifique. Aujourd’hui, les grandes puissances militaires sont les seules à posséder une large autonomie nationale dans le domaine de l’armement. Tous les autres États dépendent, à des degrés divers, des importations. Les progrès de la technologie militaire résultent de plus en plus d’innovations certes civiles, mais jalousement protégées par les Etats où elles émergent. La Suisse doit accorder une attention particulière à cet aspect, puisqu’elle n’est membre d’aucune alliance défensive et qu’elle ne peut prétendre, en dehors d’une dépendance réciproque, à ce que ses commandes de composants soient honorées par les États producteurs. L’accès aux technologies et composants utilisés dans les systèmes de l’armée ainsi que pour leur exploitation et leur entretien n’est donc pas assuré.
La dépendance technologique de l’armée suisse vis-à-vis de l’étranger, notamment concernant les composants-clés, restera totale si nous ne créons pas une dépendance réciproque.
En conséquence, la Suisse devrait mener une politique industrielle et technologique qui lui permette d’occuper des niches indispensables ou importantes pour les autres nations productrices d’armement. Notre pays serait alors en position de négocier la production de l’équipement dont elle aurait besoin dans des délais raisonnables. Hélas, à ce jour, nous sommes loin du compte.
Alors que le Conseil fédéral pourrait développer une politique précise d’encouragement à l’innovation dans des domaines-clés pour la défense, puis concrètement appuyer les start-up et entreprises qui font voir le jour à des produits de pointe, il se retranche derrière les notions de libre marché, de concurrence internationale et de principes comptables aussi discutables que l’épicerie qui a prévalu dans l’achat des masques sanitaires. Se concentrer sur la maîtrise de technologies choisies qui jouent un rôle crucial pour la sécurité nationale a en effet un coût. Mais c’est le prix à payer pour défendre notre pays. On ne peut manquer de s’étonner, dans ce cadre, du désintérêt du Conseil fédéral pour la maîtrise sans partage de certaines technologies utilisées dans l’espace, qui est pourtant un des théâtres de conflit du futur proche.
La remontée en puissance de notre armée, réclamée depuis peu par des forces politiques capables de réunir une majorité parlementaire et soutenue par le Conseil fédéral https://www.parlament.ch/fr/ratsbetrieb/suche-curia-vista/geschaeft?AffairId=20223367, devra donc s’accompagner d’une vraie politique industrielle visant à reconstituer l’industrie de défense dont a besoin un pays qui veut rester libre et indépendant.
Jean-Luc Addor
Conseiller national
Membre de la Commission de la politique de sécurité